Le mercredi 1er août 2018 était le « jour du dépassement » écologique, selon le Global Footprint Network, un institut de recherche international établi en Californie. A partir de cette date, l’humanité a consommé plus de ressources naturelles et émis plus de gaz à effet de serre que la Terre n’est en capacité d’en produire ou d’en absorber au cours d’une année.
Un an plus tard, le WWF (World Wildlife Fund – le Fonds mondial pour la nature) alertait que le « jour du dépassement » pour l’Union européenne tombait le vendredi 10 mai 2019. «Cela signifie que si le monde entier vivait comme eux, l’humanité aurait consommé toutes les ressources naturelles que la planète peut renouveler en un an », souligne l’association, qui publie ce rapport en partenariat avec Global Footprint Network.
Ces dates symboliques s’accompagnent d’un autre chiffre frappant : à ce rythme de consommation, il faudrait 1,7 planète pour subvenir aux besoins des hommes. Or nous n’en avons pour l’instant qu’une seule à disposition.
Ces indicateurs, repris par les médias et commentés par les ONG environnementales, qui plaident pour un mode de vie plus soutenable, suscitent pourtant des questions.
Comment est calculé le jour du dépassement ?
Pour mesurer la pression de l’activité humaine sur un territoire, il suffit de comparer deux notions :
l’empreinte écologique de la population, c’est-à-dire les ressources naturelles dont l’humanité a besoin pour se nourrir, se loger, se déplacer et compenser les déchets qu’elle génère, y compris les gaz à effet de serre. Cette notion est ensuite ramenée à une surface : un champ pour produire des céréales, un pâturage pour le bétail, une forêt pour le bois, un océan pour les poissons… mais aussi la surface nécessaire pour absorber le CO2 produit par les activités humaines. Elle dépend du nombre d’habitants et de leur mode de vie.
la biocapacité ou capacité biologique d’un territoire, c’est-à-dire la surface nécessaire pour produire des ressources naturelles et services écologiques renouvelables.
Le Global Footprint Network réalise ces calculs, mesurés en « hectares globaux », pour chaque pays, à partir d’un grand nombre de données, comme les terres cultivées ou en forêt, la consommation d’énergie, provenant notamment d’agences des Nations unies (GIEC, FAO…) qui sont actualisées chaque année, comme le précise leur méthodologie.
La biocapacité de la Terre était estimée à 12,2 milliards d’hectares globaux, alors que les humains utilisent l’équivalent de 20 milliards d’hectares par an, soit 1,7 fois plus.
Pour rendre ce chiffre encore plus accessible, les ONG l’ont converti en « dette » annuelle : les humains consomment les ressources renouvelables de la Terre en sept mois, et vivent théoriquement « à crédit » le reste de l’année. Un calcul qui rappelle d’autres dates symboliques à la méthode discutable : le jour de libération fiscale ou le moment où les femmes devraient cesser de travailler.
Pourquoi ce chiffre est-il critiqué ?
Obtenir un chiffre parlant pour l’opinion publique nécessite bien souvent de faire des « raccourcis ». En 2010, Leo Hickman, journaliste spécialiste de l’environnement, déplorait dans le Guardian, que cet indicateur agrège « des pommes et des poires », c’est-à-dire additionne des données de nature aussi différente que les émissions de gaz à effet de serre, les récoltes de maïs ou la perte de la forêt primaire. Il note aussi que les calculs sont affinés chaque année, ce qui fait fluctuer la date fatidique. En effet, lorsque nous avions publié un article à ce sujet en 2015, le dépassement survenait le 13 août. Or les dernières données publiées en 2018 fixent désormais le dépassement au 6 août 2015, soit une semaine plus tôt.
La notion d’« hectares globaux » est aussi une mesure difficile à appréhender pour le grand public : en effet, un hectare de céréales n’a pas le même rendement en France et au Maghreb, et une forêt scandinave ressemble peu à une forêt tropicale. Il s’agit en fait d’opérer une moyenne, comme le PIB, destinée à faciliter les comparaisons internationales, comme l’explique Aurélien Boutaud, consultant en environnement interrogé en 2017 par Libération.
Autre subtilité : certains pays ont une biocapacité supérieure aux autres et sont donc des « réservoirs » écologiques. Ainsi, les Brésiliens ont-ils la même empreinte écologique que les Macédoniens, mais leur biocapacité est cinq fois plus élevée en raison de la forêt amazonienne. Chaque Français consomme 2,9 fois ce que la Terre peut lui fournir pour subvenir à ses besoins, mais seulement 1,8 fois la capacité du territoire français (notamment grâce à la richesse écologique de la Guyane).
Un calcul plutôt sous-estimé
Si certains indicateurs sont bien réels (le nombre d’arbres coupés pour produire du bois ou la production de céréales), l’essentiel de la dette est constitué des émissions de carbone que la nature ne parvient pas à absorber. En France, elle représentait 60 % de l’empreinte totale. Certains analystes estiment donc qu’il serait plus pertinent de se concentrer sur cet indicateur seul.
Inversement, d’autres indicateurs écologiques ne sont pas pris en compte : l’épuisement des ressources non renouvelables (charbon, pétrole, uranium), l’érosion de la biodiversité, la pollution de l’eau, de l’air ou du sol… Or la dégradation du milieu naturel, difficile à traduire en un seul chiffre, pourrait gonfler encore davantage l’empreinte humaine. « Un calcul plus rigoureux ou plus exhaustif mènerait à un accroissement du déficit constaté… et donc à une “célébration” plus précoce du Jour du dépassement », résument Aurélien Boutaud et Natacha Gondran dans The Conversation.
Cet indicateur peut-il rester pertinent ?
Ce chiffre permet de visualiser l’évolution du problème : le ratio calculé rétroactivement depuis le début des années 1970 (avec les limites mentionnées ci-dessus) montre que le jour de dépassement survient de plus en plus tôt dans l’année. Il met aussi en lumière le lien avec l’activité économique, avec un léger fléchissement lié à la crise de 2009.
Les données autorisent aussi des comparaisons géographiques intéressantes, qui rappellent que, au-delà du nombre d’habitants sur terre, l’épuisement des ressources est surtout lié à leur mode de vie : un habitant du Qatar aura consommé l’équivalent d’une année de ressources dès le 9 février et un Français le 5 mai. Un Marocain sera presque à l’équilibre, alors qu’un Zimbabwéen ne consommera en un an que 0,65 de ses ressources planétaires.
Pour les ONG environnementales, le chiffre de la dette écologique a d’abord une vertu pédagogique. « Cette étude utilise des données qui sont généralement analysées séparément (émissions de gaz à effet de serre et impacts de nos comportements sur la biodiversité), nous explique ainsi Matthieu Jousset, de la fondation GoodPlanet. Son intérêt est d’adopter une approche globale qui permette au grand public de se familiariser avec un budget écologique qu’il ne peut dépasser », et de mieux « incarner l’enjeu climatique ». Elle s’accompagne d’ailleurs d’un appel à l’action intitulé #movethedate (« repousse la date »), qui invite à réduire le gaspillage alimentaire (qui ferait gagner trente-huit jours), à diviser par deux le nombre de voitures (douze jours), ou à faire moins d’enfants (trente jours).
Mise à jour le 01/08/18 à 12 h : précision d’une formulation sur la notion d’hectares globaux et ajout d’un lien.
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