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Le Jour du Dérèglement nous met-t-il sur la bonne piste ?

par Mathis Wackernagel, fondateur et President, Global Footprint Network
Mathis Wackernagel

Les Français ont désormais l’habitude. Chaque année à une date précise, les habitants de la planète sont informés qu’ils ont dépassé le budget écologique pour l’année. C’est le Jour du Dépassement. Le Jour du Dérèglement s’inscrit dans cette stratégie de communication grand-public que l’ONG américaine Global Footprint Network pratique avec succès depuis 2006. Dans ce contexte, il nous parait essentiel de préciser plusieurs points afin d’éviter la confusion des genres.

Le 5 mars était le Jour du Dérèglement, inspiré du Jour du Dépassement (29 juillet en 2019) ou Jour du Dépassement de la France (14 mai en 2020, soit la date du Jour du Dépassement si l’humanité entière avait le niveau de consommation des habitants de la France.)

La date du Jour du Dépassement est calculée en réponse à une question simple et empirique : quelle est la demande humaine sur la nature par comparaison avec la capacité de régénération de la biosphère (budget de la Terre) ? La méthode de comptabilité utilise des données transparentes publiées par les Nations Unies afin d’établir ce bilan écologique.

Infographie extraite de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (Ministère de la Transition écologique et sociale)

Par contraste, le budget de référence pour calculer la date du Jour du Dérèglement est celui qui a été entériné par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), feuille de route pour lutter contre le changement climatique en vertu de la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV). La date est determinée en contrastant les émissions totales de gaz à effet de serre des Français d’une part (y compris l’énergie grise de la consommation) avec le budget prévisionnel des émissions censé garantir la neutralité carbone en 2050, conformément à la loi. En vertu des conclusions des rapports du Ministère de la Transition écologique et solidaire affirmant que les écosystèmes de la France pourront absorber 80 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an en 2050, les émissions générées sur le territoire seront plafonnées à 80 millions de tonnes d’équivalent CO2 annuels. Dans la mesure où l’empreinte carbone actuelle de la France est de 450 million tonnes d’équivalent CO2 par an, le budget est épuisé le 5 mars (80 Mt/450 Mt x 366 jours.)

Cette date donne une indication utile quant au chemin qui reste à parcourir à la France pour atteindre son objectif de 2050. Mais elle ne révèle pas l’ampleur de la tâche nécessaire pour respecter l’Accord de Paris sur le Climat. Car tout l’édifice repose sur une hypothèse extraordinairement optimiste du Ministère de la Transition écologique et solidaire, selon laquelle l’objectif de neutralité carbone à 2050 est compatible avec cet accord. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Le GIEC a révélé en 2014 qu’une concentration dans l’atmosphère de 450 ppm d’équivalent CO2 nous donne à peine 66% de chance de ne pas dépasser 2°C de hausse moyenne mondiale de température et une fenêtre plus étroite encore pour plafonner à 1,5°C. L’agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA) a signalé que la concentration actuelle pourrait déjà être de 501 ppm d’équivalent CO2 (extrapolation à partir des données de 2018.) En d’autres termes, nous avons déjà épuisé le budget carbone ; viser la neutralité carbone en 2050 sera largement insuffisant si nous entendons réellement atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Quant au scenario de séquestration de carbone tel qu’envisagé par la SNBC, il risque aussi de se révéler trop optimiste. La recherche a peine à suivre l’impact du réchauffement climatique sur les écosystèmes naturels.  Par exemple, un récent article dans la revue scientifique Nature affirme que, contrairement aux prévisions, la performance des forêts tropicales en matière d’absorption du carbone est en chute en raison de la sècheresse.

A ce titre, l’exercice du Jour du Dérèglement nous parait davantage basé sur des projections spéculatives que des données sur laquelle la science peut s’appuyer. En réalité, la situation est plus tendue que la date du 5 mars nous incite à croire et exige que nous osions poser les bonnes questions pour atteindre le but auquel nous aspirons tous : vivre en harmonie avec les ressources écologiques de la planète afin d’assurer un avenir à la jeune génération.